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Pourquoi court-on ?

  • Photo du rédacteur: antoinebeis9
    antoinebeis9
  • 25 août 2018
  • 5 min de lecture

La question revient souvent, et bien qu’elle paraisse ordinaire, il n’est finalement pas toujours si simple d’y répondre : « pourquoi cours-tu ? ». Sachant, que le sous-entendu habituel est surtout de savoir « pourquoi tu t’infliges ce genre de chose ? Pourquoi ne vas-tu pas courir juste 30 minutes le dimanches comme tout le monde ? ».


Pour une bonne cause ?


La réponse n’est en réalité pas si simple, est restera forcement différente selon les personnes, comme je l’avais évoqué dans mon compte-rendu de mon premier marathon. En effet, les courses faisant le lien avec des associations ou des causes caritatives ne sont pas rares. Au contraire. Nombreux sont ceux qui courent pour défendre une cause, une lutte contre une maladie, pour une proche ou pour soi, présentement ou a posteriori, comme une revanche. Il en va de même parfois pour des coureurs qui réchappent d’un accident grave : la course permet de se sentir vivant, de reprendre possession de son corps, de se sentir moteur et maître de son évolution. Sur ce principe, j’ai moi-même commencer la course à pied de façon régulière pour me remettre en forme et me fixer des objectifs. Mais j’ai aujourd’hui la chance d’être en parfaite santé. Je n’ai pas de revanche particulière à prendre, bien que nous ayons tous nos psychoses et sans doute tous quelque chose à nous prouver (malgré que la plupart des gens vous diront le contraire par fausse humilité). Mais finalement où est le mal ? La mode est certes au sport-santé, à l’éducation physique, à la recherche du bien-être généralisé. Mais finalement tout dépend là encore de notre motivation première.


Du coup, est-ce pour la compétition ?

Je respecte les compétiteurs dans l’âme, pour qui l’envie de battre son concurrent est suffisante pour assumer des heures et des heures d’entraînement. On en voit beaucoup sur des courtes ou moyennes distances (10 km, semi, marathon). Cette recherche de chrono et de vitesse m’amuse un peu, comme tout le monde, même si je m’en lasse rapidement. Mais quoi qu’on en dise, la compétition permet de repousser ses limites, de sortir de sa zone de confort, d’aller sur des terrains que l’on ne maîtrise pas pour continuer d’apprendre. Alors oui, prouver quelque chose aux autres ou me prouver que je suis capable réaliser telle performance est important. Mais est-ce que cela permet de durer dans le temps ? Est-ce que cela suffit à comprendre pourquoi on s’aligne sur un 10km, puis un 20, puis un 30, puis un marathon, puis un 50 km en montagne ?


Simples réactions chimiques ?


Il faut creuser un peu si l’on souhaite comprendre pourquoi on continue sur la durée, une fois ses premiers objectifs atteints. Pourquoi on continue de repousser la distance et de s’infliger des courses de plusieurs heures sans objectif de chronomètre (ou alors relatif). Les endorphines, la dopamine, et l’adrénaline jouent évidemment un rôle important. Le cerveau va naturellement chercher une récompense, ce qui provoque le plaisir. Et notre corps s’habituant à l’effort, il faut alors prolonger ou durcir les courses pour ressentir de nouveau un certain bien-être. Un peu comme un drogué. Mais est-ce si simple que cela ? Car si le corps cherche naturellement le plaisir, il va au contraire chercher à exclure ce qui apparaît comme une punition. C’est ce que l’on appelle le « système hédonique ». Cependant, n’est-ce pas une simple vision tristement binaire ? Pouvons-nous réduire notre évolution à ce schéma ?


Et le paysage dans tout cela ?


L’endurance, la course de fond, est un monde particulier. Même chez les sportifs pro. Nombreux sont les ultra-traileurs souhaitant dépasser le cadre de la « simple course » : traversée du GR 20 et du John Muir Trail par François D’Haene, Les Summits of my Life de Kilian Jornet, le Great Himalaya Trail par Ryan Sandes et Ryno Griesel, ou encore le Trail des Appalaches de Karl Meltzer… Oui, à chaque fois l’idée est de battre un record en distance et/ou en temps, à chaque fois c’est une bonne occasion pour les sponsors de mettre en avant leur matos, mais il y a forcement quelque chose d’autre derrière.


J’ai fait près de 15 ans d’Aïkido avant de me mettre régulièrement à la course à pied. Je n’ai jamais perçu, conçu, l’activité physique comme une simple gymnastique. Je l’ai toujours intégré dans ce que l’on pourrait appeler une construction personnelle : dans mon rapport aux autres, dans mon rapport à ce qui m’entoure. Aimer bouger, suer, parfois avoir mal, est la base de tout sportif qui souhaite s’améliorer. Et je sais combien il est facile et ordinaire de faire la distinction entre le corps d’un côté, et l’esprit de l’autre. Notre culture occidentale nous y pousse, notre éducation également. Mais finalement, peut-on sérieusement imaginer que parcourir des dizaines de kilomètres dans les montagnes relève purement d’une activité physique ? Même intense ?


Dans le dernier livre d’Antoine MARCEL, Ma vie dans les monts, l’auteur, emprunt de philosophie taoïste et zen écrit : « C’est quand vous allez au monde que le monde vient à vous. L’éveil est dynamique », et d’ajouter, plus loin : « La magie du monde se révèle dans un mouvement vers lui, dans un agir ».



Pour faire simple, le langage de l’esprit est aussi physique et sensoriel. Et c’est donc avec mon corps, en plus des livres, en parcourant la nature, les bois chez moi, la montagne quand je le peux, que je construis se rapport au monde. Quand on court sous le déluge dans les bois, ou à 2300 m d’altitude ou plus, les pieds et les jambes dans la neige, jusqu’à sentir sa peau qui brûle, on fait corps avec la nature qui nous entoure. Mais laisser l’esprit et l’ego de côté n’est pas si simple. Souvent on dit qu’on se « confronte aux éléments », mais en réalité je crois que c’est l’inverse. Ce qui en enivrant est justement de ne plus s’opposer ou d’être simple spectateur. Le coureur ne s’oppose pas plus à la montagne que le peinture à sa toile ou l’écrivain à sa page.


Cela rentre en résonance avec ce que disait Vincent DELEBARRE dans le dernier numéro de NATURE TRAIL : « j’aime profondément la nature, un milieu que je ressens et vis par le biais de l’effort physique. Quand je cours, je pense qu’il faut vivre le paysage, dans une relation plus forte que la simple contemplation ».

« Vivre le paysage » me parle beaucoup. Car fondamentalement, je crois que c’est cela. Le traileur est un amoureux de la nature, et ce dernier entre en communication avec le grand Pan. Oui, il faut lire Jean GIONO nous parlant du paganisme paysan d’un autre temps (mais est-ce si dépassé?). La nature a ses forces mystérieuses, ses vibrations, et tout cela n’est pas si éloigné d’un panthéisme ou d’un animisme revisité. « In magnificentia naturae resurgit spiritus » nous rapportait Camus dans L’Envers et l’Endroit. Cela peut prêter à sourire pour certains. Et alors ? À chacun ses cathédrales.


Garder ses rêves d’enfant


« Quand on devient grand, on perd ses rêves. Souvent, on trouve des excuses pour ne pas réaliser les choses. En tant qu’adulte, il faut continuer à rêver comme un enfant. » répond Mike HORN aux questions de Philippe CHESNAUD dans le dernier GEO AVENTURE de cet été.


La nature est belle, le traileur est un enfant qui cherche une excuse pour la parcourir et s’unir à elle. Toute excuse est bonne pour vivre le paysage qui s’offre à nous. Découvrir, rencontrer, partager, mais aussi volonté de rompre avec le quotidien et la banalisation de l’urbain et de la technologie, de cet univers trop souvent aseptisé, déphasé et sans profondeur.



Passer un col au petit matin, découvrir un paysage nouveau… Le temps se rompt, se suspend. Une connexion se fait. Vivre l’instant présent. Puis l’on repart. A chacun ses aventures, selon son niveau. Même amateur, sans sponsors. On se sent un petit explorateur. On se sent vivant.


 
 
 

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